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Rencontre avec Isabelle Buret, Autorité Technique des activités Télécommunications

Pourriez-vous nous expliquer votre parcours ?

J’ai fait le choix très tôt de mener des études scientifiques. Assez naturellement, j’ai intégré l’école d’ingénieur Telecom Paris car cela me permettait d’allier mon intérêt pour travailler dans un secteur porteur d’avancées technologiques permanentes, les Télécom, et ma passion pour le spatial, à travers une formation en Telecom Spatiales qui était à l’époque proposée. Une fois diplômée, j’ai débuté ma carrière au Japon en 1990, en tant que chercheuse invitée, au laboratoire japonais de recherche en télécommunications par satellite de NTT (le principal opérateur de télécom japonais), seule et première femme, qui plus est étrangère, à travailler, en japonais, dans un labo de 300 ingénieurs !

J’ai rejoint Thales Alenia Space (alors Alcatel Espace) en 1993. J’étais alors ingénieure système sur la toute première constellation GlobalStar (ma 1ère aventure constellation) pour laquelle il a fallu tout inventer avec les américains de SSL et Qualcomm. Mais j’ai vite éprouvé le besoin de mieux connaître nos activités industrielles et cela m’a conduite à passer du « système de bout en bout » à la conception et développement d’équipements numériques, une transition pas classique mais une expérience très riche qui m’a beaucoup apporté par la suite. J’ai alors eu la chance de travailler sur les premiers processeurs numériques embarqués (OBP) en R&D et pour des programmes commerciaux.

 

 

Quelques années plus tard, en 1999, j’ai décidé de revenir dans le domaine du « système » et ai pris  la responsabilité des activités Recherche en Systèmes de Télécommunication et Navigation dans une direction de la recherche qui venait d’être créée. J’ai ainsi animé une équipe de brillants ingénieurs et thésards afin de préparer ce que seraient nos futurs systèmes et missions de Télécom ; nous avons ainsi été les précurseurs des systèmes à très haut débit (type VHTS) et des missions flexible (à l’image de Space Inspire). Soucieuse que les études recherche débouchent réellement sur des transferts vers nos solutions et produits, j’ai étendu ma mission, en 2010, au pilotage transverse de la  R&D et de la politique produits Telecom pour l’ensemble de la société. Mon « moteur » a toujours été de travailler sur de nouvelles technologies. L’une de mes plus grandes satisfactions fut et est toujours de constater qu’une grande majorité des innovations techniques et technologiques sur lesquelles mon équipe recherche et les différentes équipes R&D produits avait travaillé à l’époque ont ensuite pris place à bord de nos satellites, et de nos systèmes, au point d’en devenir des standards.

En 2013, après cette longue période en R&D, l’on m’a proposé de rejoindre le programme Iridium NEXT en tant de « Program Design Authority ». C’était pour moi un gros changement, un retour vers les programmes. En effet, en 2010, notre société avait remporté un contrat majeur, avec l’opérateur Iridium, portant sur la maîtrise d’œuvre industrielle  et la responsabilité système de bout en bout pour renouveler la constellation de satellites de télécommunications en orbite basse, Iridium, arrivée en fin de vie. Entre janvier 2017 et février 2019, à l’issue de 8 lancements Falcon9 avec SpaceX, l’intégralité de la constellation a été remplacée et le système complet entièrement validé de bout en bout quelques mois plus tard seulement, montrant ainsi la qualité de notre design.

 

 

En 2017, en parallèle de mon rôle sur Iridium NEXT, j’ai été nommée Autorité Technique de la Business Line Telecom et à ce titre, ai commencé à intervenir sur une offre qui, du point de vue technique, technologique et programmatique, s’avérait être un nouvel énorme challenge, à savoir, le système Lightspeed de Telesat. Une autre constellation, un système à bâtir entièrement... Mon attirance pour ce type de défis « multi-facettes » m’a entraînée dans cette nouvelle aventure, en tant que Chief Engineer de l’offre, rôle assez critique car ma mission est de garantir que la solution technique que nous avons définie et proposée à Telesat réponde exactement à ses besoins en termes de performances, coûts et planning.

Me voici aujourd’hui, heureuse et fière d’avoir contribué aux côtés d’une équipe vraiment exceptionnelle, à cette sélection, pour développer ce système large bande qui repose sur près de 300 satellites en orbite basse. L’aventure continue !

Quels sont les grands moments qui ont le plus compté dans votre parcours professionnel ?

 

 

Oh, il y en eu beaucoup (rires). Je vais vous en citer 3.

J’ai parlé tout à l’heure d’Iridium NEXT. Vous savez, lorsque vous êtes un industriel et que l’on vous confie la responsabilité de remplacer, un par un, l’intégralité d’une constellation de satellites opérationnels, en orbite, sans impact sur les utilisateurs qui sont en train d’utiliser le système, ce n’est pas une tâche aisée. On a toujours peur que cela ne se passe pas comme prévu. Il s’agit d’un challenge de très grande ampleur. Aussi, en janvier 2017, lorsque les 10 premiers satellites Iridium NEXT ont été lancés avec succès, sous le soleil de la Californie, depuis la base de lancement de Vandenberg, j’ai ressenti une grande émotion. Cette émotion a été vécue intensément avec les équipes de Thales Alenia Space et d’Iridium, depuis le centre de contrôle des satellites et du réseau Iridium, près de Washington, au moment de l’allumage de la charge utile des premiers satellites, de l’établissement du premier lien inter-satellite, puis du premier appel voix entre Bertrand Maureau, alors Directeur des activités Télécommunications, basé à Toulouse, et Matt Desch, CEO d’Iridium, aux US, qui s’est déroulé de manière parfaite avec une qualité audio qui a enthousiasmé notre client. 

 

 

Nous avons tous été marqués par le premier tir. Tout a vraiment marché du premier coup ! et les performances allaient au-delà des attentes. Aujourd’hui, le système Iridium NEXT reste le système de télécommunication le plus complexe entièrement déployé et en opération. Il offre entière satisfaction à notre client.

Le deuxième grand moment qui me vient à l’esprit est beaucoup plus récent et je vous en ai déjà parlé. Nous avons eu la joie, en février, d’être retenus par l’opérateur canadien Telesat pour développer et déployer sa constellation Lightspeed, une constellation de près de 300 satellites  de télécommunications en orbite basse avec tout son réseau sol associé. Cette annonce a été un réel aboutissement pour l’ensemble des équipes qui ont travaillé sur ce projet.

 

 

Enfin, le troisième grand moment qui m’a marquée est plus d’ordre personnel. En 2012, j’ai eu la joie et l’immense fierté d’être récompensée par le prix Irène-Joliot-Curie dans la catégorie « Parcours femme entreprise », attribué par le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur ; un moment émouvant pour moi lors de la remise du prix à l’Académie des Sciences et un grand honneur ensuite d’être nommée, dans la continuité, Chevalier de la Légion d’Honneur ! Vous imaginez ! Cela reste ma petite satisfaction personnelle.

A quoi va ressembler la constellation Lightspeed ?

 

 

Le système de télécommunications comprendra très exactement 298 satellites en orbite basse. La masse à l’unité des satellites oscillera entre 700 et 750 kg. L'objectif de ce réseau  à la pointe de la technologie consistera à fournir plusieurs térabits par seconde à travers le monde pour des services très haut débit sécurisés à faible latence. Lightspeed est destiné à des services de télécommunications dédiés à la connectivité mobile (aéronautique, maritime,..), le backhauling des communications 4G et 5G, les communications gouvernementales et d'entreprise. Telesat s’appuiera sur nous, Thales Alenia Space, pour fournir les segments spatial et les segments d’opération et de mission. Notre société est également responsable de la définition et l’intégration du réseau sol (terminaux utilisateurs, stations de connexion aux réseaux terrestres) ainsi que des performances système de bout en bout.

 

 

Aux niveaux des nouvelles technologies, les satellites embarqueront un processeur numérique flexible, des  antennes actives très performantes et ils seront interconnectés entre eux via des liaisons laser optiques.  Il en résultera une solution offrant une capacité de plusieurs Térabits par seconde, une couverture globale et très flexible  - y compris au-dessus des océans et des pôles - , des services très haut débits et un haut niveau de sécurité de service de bout en bout.

Quelles sont les qualités requises pour construire une constellation aussi ambitieuse ?

 

 

Il faut savoir que toutes les constellations Telecom opérationnelles à ce jour, Globalstar 2, Iridium NEXT et O3B, ont été construites sous notre maîtrise d’œuvre. Nous avons également su capitaliser sur cet héritage unique pour adresser  de nouveaux marchés tels que l’observation de la Terre à forte revisite (BlackSky), la surveillance de l’espace depuis l’espace et la détection des débris spatiaux (SkyLark) ou encore l’Internet des Objets (Kinéis, Omnispace).

 

 

De plus, Thales Alenia Space maîtrise les systèmes « end to end », la digitalisation des charges utiles, la gestion de programmes d’envergure internationale ainsi que des ressources industrielles nécessaires à la réalisation de constellations.

Quels conseils donneriez-vous aux futur(e)s ingénieur(e)s qui nous lisent ?

Je dirais que le domaine spatial est un secteur d’activité qui offre de très nombreuses perspectives. C’est un secteur en évolution permanente. Il ne s’agit pas d’un environnement statique. Il est au contraire très stimulant intellectuellement et enrichissant d’un point de vue humain. On travaille en équipe bien évidemment tant pour préparer le futur à travers les activités de R&D que pour conduire des programmes de très grande envergure. On ne peut pas faire de merveilles dans ce domaine sans les autres. On apprend énormément à leur contact, en se nourrissant de la culture des autres, de leur vécu, de leurs expériences.

 

 

On a beaucoup parlé des satellites de télécommunications aujourd’hui, qui jouent leur rôle en apportant de la connectivité à travers le monde, en particulier dans des situations difficiles quand plus aucun moyen de communication n’existe ou ne fonctionne et en réduisant la fracture numérique dans certaines zones géographiques.

Il y a également des satellites de météorologie, d’océanographie et de surveillance de l’environnement qui portent tous un regard bienveillant sur notre planète, fournissant aux organismes de décisions les informations nécessaires afin de la préserver ou prévenir des risques liés aux conséquences du réchauffement climatique ou de phénomènes météo extrêmes (typhons, tsunamis,…) Comment pourrions-nous naviguer correctement aujourd’hui sans l’aide des satellites de navigation ?

 

 

 Il y a un autre aspect de notre activité, qui est extrêmement stimulant intellectuellement : celui de la science et de l’exploration spatiale. Au cours des prochaines décennies, il y aura certainement des missions habitées à destination de l’Espace lointain. Il est de plus en plus question d’envoyer des astronautes sur Mars.

Vénus, Mars, Mercure, La Lune, Saturne, le soleil, comètes et exoplanètes… Notre société a a eu le privilège d’être un partenaire industriel de premier plan à bord des plus fantastiques missions d’explorations à travers le système solaire. Nous avons également fourni 50% du volume pressurisé de l’ISS et sommes un partenaire industriel majeur à bord de Gateway, la future station spatiale cis-lunaire. Vous voyez tous ces programmes font rêver. Il y en a un peu pour tous les goûts. Le conseil que je me permettrais de donner humblement à la nouvelle génération, ce serait : de croire en soi, en ses capacités, de se fixer des objectifs, se donner, bien sûr, les moyens de les atteindre, mais avant tout se faire plaisir pour trouver son équilibre.

Quels sont les traits de caractères recherchés dans votre métier ?

La passion, vous l’avez compris, mais aussi de la ténacité et de la persévérance, et bien sûr, une grande ouverture d’esprit, l’écoute et l’esprit d’équipe, sans oublier la flexibilité.

 

Illustrations: ©Thales Alenia Space/Briot - ©Thales Alenia Space/Master Image Programmes - ©Thales Alenia Space/Imag[IN] - © Kinéis - © Blacksky - © NorthStar Earth & Space - Video ©Thales Alenia Space/Master Image Programmes