Drônes: sans pilote et sans limite
Cet article a été écrit par Christian Doherty et publié dans le magazine Innovations n°5
Les drones ont déjà largement démontré leurs capacités sur les théâtres d’opération militaires et commencent à montrer des potentialités aussi impressionnantes dans les domaines civils. Verrons-nous prochainement des drones suffisamment intelligents pour opérer de manière entièrement autonome ?
Peu de gens connaissent Scott Swanson. Cet Américain occupe pourtant une place assez spéciale dans l’histoire des drones. En 2001, quelques semaines seulement après les attaques du 11 septembre à New York, le capitaine Swanson, pilote dans l’US Air Force, se retrouve intégré à l’équipe Predator. Ce projet top secret consiste à piloter à distance un drone armé au-dessus de Kandahar, en Afghanistan, à plus de 11 000 km de là. Sa mission ? Cibler un pickup stationné devant un bâtiment censé abriter le mollah Omar, commandant en chef des Talibans.
Le drone va rater sa cible, mais Scott Swanson entre dans l’histoire. C’est en effet la première fois qu’un drone américain tire un missile sur un théâtre d’opération.
Quinze ans ont passé et les drones ont évolué. Ces drôles d’engins sont passés du statut d’équipement militaire dernier cri à celui de produit presque banal sur l’étagère des boutiques d’électronique grand public. On peut désormais acquérir très facilement, pour moins de cent dollars, un drone de conception basique destiné à un usage civil. Dans le même temps, les drones connaissent un succès croissant auprès des militaires, à telle enseigne que l’US Air Force a formé plus de pilotes de drones que de pilotes de F-16 entre 2010 et 2014.
Pour Thomas Reydellet, directeur des études stratégiques et de la prospective de Thales, il est clair que ces plates-formes aériennes sont désormais un élément central des opérations militaires conduites un peu partout dans le monde. Mais elles trouvent aussi une utilisation de plus en plus large dans les secteurs civils. La miniaturisation des capteurs et certaines avancées majeures dans les logiciels et les matériels ont permis à ces drôles d’engins de devenir plus que de simples objets volants contrôlés à distance.
Cependant, les drones ont encore du chemin à parcourir pour libérer tout leur potentiel. Il leur faudra être plus autonomes, plus agiles et capables d’être interconnectés avec d’autres systèmes et plates-formes, afin de pouvoir être pleinement intégrés à la boucle opérationnelle.
Le drone va rater sa cible, mais Scott Swanson entre dans l’histoire. C’est en effet la première fois qu’un drone américain tire un missile sur un théâtre d’opération.
Quinze ans ont passé et les drones ont évolué. Ces drôles d’engins sont passés du statut d’équipement militaire dernier cri à celui de produit presque banal sur l’étagère des boutiques d’électronique grand public. On peut désormais acquérir très facilement, pour moins de cent dollars, un drone de conception basique destiné à un usage civil. Dans le même temps, les drones connaissent un succès croissant auprès des militaires, à telle enseigne que l’US Air Force a formé plus de pilotes de drones que de pilotes de F-16 entre 2010 et 2014.
Pour Thomas Reydellet, directeur des études stratégiques et de la prospective de Thales, il est clair que ces plates-formes aériennes sont désormais un élément central des opérations militaires conduites un peu partout dans le monde. Mais elles trouvent aussi une utilisation de plus en plus large dans les secteurs civils. La miniaturisation des capteurs et certaines avancées majeures dans les logiciels et les matériels ont permis à ces drôles d’engins de devenir plus que de simples objets volants contrôlés à distance.
Cependant, les drones ont encore du chemin à parcourir pour libérer tout leur potentiel. Il leur faudra être plus autonomes, plus agiles et capables d’être interconnectés avec d’autres systèmes et plates-formes, afin de pouvoir être pleinement intégrés à la boucle opérationnelle.
« Il leur faudra une plus grande autonomie pour être utilisés à long terme sur le terrain, explique Thomas Reydellet. Ils devront aussi être plus robustes et plus discrets, avec de solides capacités de communication pour assurer l’interconnexion avec les autres ressources militaires. Pour être véritablement acceptés par les états-majors, les drones devront démontrer un avantage opérationnel quantifiable par rapport aux systèmes traditionnels.»
« Il reste toutefois évident que ces systèmes sans pilote offrent un potentiel considérable en termes de missions – emport de systèmes d’armes et de combat, reconnaissance, logistique, surveillance, acquisition d’objectifs, relais de communication, entre autres. Mais la technologie, de l’intelligence artificielle aux algorithmes, constitue encore un obstacle non négligeable avant de parvenir aux niveaux de performance requis. Cela dit, les progrès réalisés sont indéniables, et l’on peut aisément imaginer des drones opérant demain en tandem. Des ingénieurs et des constructeurs planchent d’ailleurs déjà sur ces perspectives nouvelles. »
En bref
Les possibilités offertes par les systèmes sans pilote semblent infinies tant dans le civil que le militaire, mais il faudra encore du temps avant qu’ils ne soient entièrement autonomes.
Si leur « cerveau » demeure encore aujourd’hui sous contrôle humain, il est clair qu’il se développe à une vitesse stupéfiante.
Si leur « cerveau » demeure encore aujourd’hui sous contrôle humain, il est clair qu’il se développe à une vitesse stupéfiante.
© ©Thales
S’affranchir des limites
Alors que les responsables militaires en charge de la planification s’efforcent d’intégrer à leurs systèmes un nombre croissant de drones toujours plus sophistiqués, les autorités civiles prennent elles aussi conscience des possibilités quasiment illimitées qu’offrent ces nouvelles plates-formes – livraison de médicaments, surveillance des conditions météorologiques ou du trafic routier, évaluation des dégâts d’une zone sinistrée, déminage des routes, contrôle des voies maritimes ou détection d’une possible activité criminelle au sein d’une foule.
Les drones aériens ne sont d’ailleurs pas les seuls concernés : les drones de surface, terrestres et sous-marins connaissent eux aussi un développement rapide, tant dans le domaine militaire que civil.
Les drones aériens ne sont d’ailleurs pas les seuls concernés : les drones de surface, terrestres et sous-marins connaissent eux aussi un développement rapide, tant dans le domaine militaire que civil.
« C’est ce que nous avons vu par exemple en janvier dernier avec l’utilisation par les Russes d’unités de drones terrestres en Syrie, fait observer Thomas Reydellet. Le potentiel commercial suit l’évolution technologique : le marché mondial des drones militaires a généré un chiffre d’affaires de 412,5 millions de dollars en 2015, englobant différents types d’activité – déminage, renseignement, surveillance et reconnaissance, logistique et surveillance des frontières. »
Chez Thales, Rob Hooper et ses collègues Jason Dey et Matt Hart travaillent depuis plusieurs années au développement de systèmes navals autonomes. Et l’entreprise s’est vu attribuer le contrat du programme de coopération franco-britannique MMCM (Maritime Mine Counter Measures), qui vise à développer les capacités d’un ensemble de drones autonomes capables de lutter efficacement contre la menace que font peser les mines navales.
« Ce programme concerne des drones de surface et des drones sous-marins contrôlés à distance depuis un centre opérationnel », explique Rob Hooper. Les travaux menés au titre du programme MMCM ont pris un rythme nouveau depuis deux ans, en réponse notamment à la croissance du marché mondial des contremesures antimines.
« Ce programme concerne des drones de surface et des drones sous-marins contrôlés à distance depuis un centre opérationnel », explique Rob Hooper. Les travaux menés au titre du programme MMCM ont pris un rythme nouveau depuis deux ans, en réponse notamment à la croissance du marché mondial des contremesures antimines.
« Dans le cadre de ce programme, nous avons construit le drone de surface Halcyon, exploité depuis maintenant deux ans, explique Rob Hooper. Les différents essais réalisés ont mis en évidence un niveau croissant d’autonomie en exploitation. »
Jason Dey estime qu’une plus grande autonomie sera une caractéristique fondamentale de la future génération de drones : « Le niveau croissant de capteurs environnementaux permet un traitement plus objectif et plus précis de l’évaluation de la situation, se traduisant par une prise de décision autonome. »
Dans le cas du drone Halcyon, les capteurs embarqués couvrent tout un éventail, allant des plus classiques (radars, caméras, microphones) jusqu’aux plus pointus comme les caméras électro-optiques avec capacité de poursuite d’objectif, les sonars et LIDAR, pour mesurer la distance en illuminant une cible par laser et en analysant la lumière reflétée. Ces capteurs confèrent aux drones une capacité de perception individuelle et l’aptitude à comprendre leur environnement et à s’y adapter.
« Quand on en arrive à ce degré de définition, on peut poursuivre plus loin encore et co mmencer à envisager certaines capacités heuristiques permettant à l’engin de penser par lui-même », explique Jason Dey. Mais il souligne également que plus le système tend vers ce niveau d’individuation, plus se pose la question de la responsabilité ultime : « Le drone doit continuer à se comporter de manière coordonnée, avec une sûreté absolue dans son utilisation. Dès lors que nous envisageons un niveau d’autonomie accru, il faut s’interroger sur la marge de liberté qu’il est possible de laisser à l’engin pour prendre lui-même une décision sensée, et savoir quel degré de contrôle nous voulons conserver. »
© ©Thales
Dans le sillage de Watchkeeper
Barry Trimmer et ses collègues réfléchissent à ce problème depuis trois ans, dans le cadre du projet CLAIRE qui mobilise les efforts des équipes de Thales, du ministère de la Défense britannique (MoD) et de National Air Traffic Systems (NATS), le principal fournisseur britannique de services de contrôle aérien.
« Avec ce projet, il s’agit de démontrer qu’on peut intégrer un drone dans l’espace aérien non ségrégué, c’est-à-dire l’espace partagé avec le trafic aérien commercial, résume Barry Trimmer. Au cours du premier vol, nous avons intégré l’espace aérien partagé sous le contrôle des responsables du trafic aérien, signant ainsi une première mondiale. »
Pour Barry Trimmer, la prochaine avancée majeure sera l’installation d’une technologie sense and avoid (détecter et éviter) permettant au drone de continuer à naviguer en toute sécurité dans l’éventualité d’une défaillance de la liaison de données. « En cas de défaillance de la liaison, le drone finira très probablement par s’écraser au sol, explique-t-il. On navigue alors dans un espace aérien de classe G, sans aucun service de contrôle avec la station sol. Dans ce cas-là, l’engin doit être capable de prendre ses propres décisions. »
Thales a investi dans deux technologies sense and avoid dans le cadre d’initiatives européennes. L’une d’entre elles utilise des capteurs optiques pour reproduire les règles du vol en conditions VFR, la seconde envisage l’utilisation d’un système radar associé à cette technologie particulière pour naviguer dans des conditions de mauvaise visibilité.
Le déploiement satisfaisant des technologies sense and avoid constitue une étape majeure, susceptible de laisser libre cours à toutes les potentialités des drones, dans un éventail élargi d’utilisations.
Thales a investi dans deux technologies sense and avoid dans le cadre d’initiatives européennes. L’une d’entre elles utilise des capteurs optiques pour reproduire les règles du vol en conditions VFR, la seconde envisage l’utilisation d’un système radar associé à cette technologie particulière pour naviguer dans des conditions de mauvaise visibilité.
Le déploiement satisfaisant des technologies sense and avoid constitue une étape majeure, susceptible de laisser libre cours à toutes les potentialités des drones, dans un éventail élargi d’utilisations.
« Sense and avoid est la technologie nécessaire pour mettre en œuvre un drone civil, indépendamment de son utilisation finale, qui peut être aussi bien la surveillance d’un territoire que l’évaluation des moyens à apporter après une catastrophe naturelle », observe Barry Trimmer.
Cette technologie intègre le type d’automatisation que l’on connaît déjà avec la règlementation de la circulation aérienne (Rules of the Air) à laquelle doit se conformer n’importe quelle plate-forme automatisée. C’est donc une option totalement crédible à court terme. Constituant en quelque sorte le « cerveau » du drone, cette technologie fait office de mode de sécurité intrinsèque dans l’éventualité d’une défaillance ou d’un fonctionnement perturbé.
« Si le drone perd un moteur, par exemple, l’engin va probablement sortir de l’espace aérien contrôlé, explique Barry Trimmer. Les drones sont censés offrir le niveau de sécurité nécessaire si la liaison de données est défaillante. Chacun comprendra que cette assurance de sécurité, même en cas de perte de la liaison de contrôle, est un élément fondamental de leur conception. »
Naviguer en « toute sécurité » dans un espace aérien non contrôlé signifie que le drone doit pouvoir observer son environnement et mettre en œuvre les actions nécessaires pour éviter les obstacles proches, sans intervention extérieure. C’est la clé de voûte de la phase suivante du développement qui devrait voir les drones passer du statut d’engins de surveillance et d’attaque entièrement contrôlées par l’homme à celui de plates-formes automatisées, douées de certaines capacités de perception et de réflexion, offrant une autonomie opérationnelle nettement supérieure à celle des modèles actuels. Face à cette évolution, Thomas Reydellet exprime toutefois une réserve, notamment à l’égard des drones aériens.
« Pour travailler avec des êtres humains, les robots et les drones à usage militaire devront présenter un certain nombre de caractéristiques, comme l’intelligence, la mobilité et la discrétion, explique-t-il. Ils devront offrir des avantages opérationnels quantifiables et rester à tout instant sous le contrôle direct des opérateurs humains. »
Thomas Reydellet estime que la route sera encore longue avant d’en arriver à des drones véritablement autonomes.
« Avec des capteurs plus intelligents, la charge de calcul devra être plus importante pour parvenir à l’autonomie souhaitée. Mais il n’existe pour l’instant aucune solution de traitement embarquée véritablement viable. » Autrement dit, la majeure partie du « cerveau » des drones reste, pour l’heure, stockée dans la station de contrôle à distance.
Le véritable défi consiste à trouver le juste équilibre entre l’autonomie et l’efficacité de calcul, en tenant compte des contraintes de taille, de poids et d’alimentation électrique.
La prochaine frontière technologique se profile déjà très nettement à l’horizon – construire des drones capables de s’intégrer aisément à des systèmes plus importants. Qu’il s’agisse de drones de surveillance capables de capter et d’analyser des données, ou de drones de surface aptes à diriger d’autres plates-formes associées dans le dédale des mines sous-marines, une chose est sûre : leur « cerveau » se développe à une vitesse stupéfiante.
[[asset:signpost:195996 {"mode":"full","align":"","field_admin_bool_image_filter":[0],"field_admin_link":["https:\/\/www.thalesgroup.com\/fr\/systemes-de-drones-aeriens-0"]}]]
« Avec des capteurs plus intelligents, la charge de calcul devra être plus importante pour parvenir à l’autonomie souhaitée. Mais il n’existe pour l’instant aucune solution de traitement embarquée véritablement viable. » Autrement dit, la majeure partie du « cerveau » des drones reste, pour l’heure, stockée dans la station de contrôle à distance.
Le véritable défi consiste à trouver le juste équilibre entre l’autonomie et l’efficacité de calcul, en tenant compte des contraintes de taille, de poids et d’alimentation électrique.
La prochaine frontière technologique se profile déjà très nettement à l’horizon – construire des drones capables de s’intégrer aisément à des systèmes plus importants. Qu’il s’agisse de drones de surveillance capables de capter et d’analyser des données, ou de drones de surface aptes à diriger d’autres plates-formes associées dans le dédale des mines sous-marines, une chose est sûre : leur « cerveau » se développe à une vitesse stupéfiante.
[[asset:signpost:195996 {"mode":"full","align":"","field_admin_bool_image_filter":[0],"field_admin_link":["https:\/\/www.thalesgroup.com\/fr\/systemes-de-drones-aeriens-0"]}]]