Voiture connectée
L’interconnexion des voitures aux réseaux de données va révolutionner la conduite routière. Au prix de nouveaux dangers ?
Comme pour toute technologie de rupture, il n’est pas si facile de faire la part entre battage médiatique et réalité.
« Sur le marché actuel, la connectivité, c’est le bas débit pour les systèmes non essentiels comme les appels téléphoniques et la radio. Et c’est tout », confie Joel Grundy, en charge des opportunités de croissance stratégique en recherche, technique et innovation (RTI) chez Thales.
« Ce qui est curieux, c’est le manque de maturité de la connectivité automobile, souligne Joel Grundy. Comparons les voitures aux avions : le fossé est immense. Un avion possède plusieurs systèmes de communications : communications par satellite, radios multi-redondantes, cellulaires, voice et data streaming. Il y a pléthore, à l’inverse des voitures actuelles. »
Le saviez vous...
Si votre voiture est dotée d’un système anticollision, il y a de fortes chances que ce soit Thales qui contribue à renforcer la sécurité de vos déplacements. Les composants radar au cœur des systèmes anti-accident sont conçus et fabriqués par United Monolithic Semiconductors, une joint-venture de Thales. Thales est également leader de la technologie de numérisation LIDAR qui « donne des yeux » aux ordinateurs. LIDAR devrait se généraliser avec l’essor des voitures autonomes.

Gestion des risques
Outre la complexité de la mise en œuvre, relier les voitures aux réseaux de données extérieurs comporte des risques. Pour les pirates, les liaisons sans fil représentent des vecteurs d’attaque potentiels, un point qu’ont mis en lumière plusieurs démonstrations largement diffusées dans les média en 2015.
Deux facteurs constituent en particulier un risque.
- D’abord, de plus en plus de voitures sont équipées de fonctions semi-autonomes comme l’aide au stationnement, la surveillance de franchissement de ligne et le freinage automatique : l’ordinateur prend alors la main sur le conducteur pour des fonctions vitales comme la direction et le freinage.
- Autre problème et non le moindre : le manque voire l’absence totale de sécurité des systèmes électroniques. Et la fragmentation des fonctions décuple ce risque : dans une voiture, la puissance de calcul est rarement centralisée ; en fait, chaque fonction, du freinage aux instruments, répond à son propre module de commande. Les véhicules modernes contiennent jusqu’à 70 modules et des millions de lignes de code.
Face à ces problèmes, les constructeurs automobiles ont entrepris de centraliser les fonctions sur un nombre réduit d’ordinateurs, ce qui crée d’autres difficultés.
Comment assurer la sécurité si des fonctions vitales comme le freinage partagent le même module informatique que des fonctions non vitales comme les contenus de divertissement ?
Pour répondre à cette question, les constructeurs automobiles se sont tournés vers le secteur aéronautique qui a déjà résolu le casse-tête de la fragmentation. Sa solution, l’architecture avionique modulaire intégrée, sépare les applications les unes des autres par partitionnement. Avec cette méthode, différents types de logiciels s’exécutent simultanément, en toute sécurité, sur le même matériel.
Pionnière dans ce domaine, la filiale allemande de Thales, Sysgo, est spécialisée dans les systèmes d’exploitation intégrés. Sa solution PikeOS a déjà fait ses preuves sur les marchés de la défense et de l’aéronautique où la sécurité est primordiale. Elle s’apprête à faire ses débuts dans le secteur automobile: en cours d’adoption chez deux grands équipementiers automobiles, Continental et Magna, PikeOS devrait équiper les premiers véhicules en 2017.
« Ce qui arrive dans l’automobile aujourd’hui s’est produit dans l’avionique il y a quinze ans, raconte Knut Degen, directeur général de Sysgo. Le nombre d’applications logicielles et de systèmes d’assistance ne cesse d’augmenter : l’électronique automobile va exiger des architectures système similaires à celles des avions. L’hyperviseur PikeOS peut accueillir plusieurs logiciels dans différentes partitions. Il contrôle les communications et les flux de données entre les applications et le matériel. »
Facilitant l’utilisation sécurisée et rationnelle des ressources informatiques internes du véhicule, PikeOS offre une protection contre les menaces extérieures.
« La sécurité de la voiture connectée dépend de sa capacité à séparer ses communications avec le monde extérieur de son électronique interne, explique Knut Degen. Ce type d’architecture va devenir obligatoire dans les véhicules autonomes. »
Vous avez dit connectée ?
Une voiture connectée contient généralement en sortie d’usine des communications mobiles, du matériel informatique, des logiciels et un système d’affichage d’informations au conducteur. Un module SIM intégré fournit habituellement la connectivité. Elles offrent toute une gamme de fonctions télématiques d’amélioration de la sécurité, du confort et de l’efficacité, notamment la planification automatique d’itinéraires par GPS avec alertes trafic, la localisation des véhicules volés, la planification de l’entretien, et des fonctionnalités d’accès à distance comme le déverrouillage du véhicule. Et dans le cadre du programme européen eCall, le dispositif d’appel d’urgence automatique en cas d’accident deviendra obligatoire à partir de 2018 pour toutes les nouvelles voitures.
À l’avenir, l’essor des technologies de communication entre véhicules (V2V) et entre les véhicules et les infrastructures (V2I) devrait révolutionner la route avec de nombreuses fonctionnalités de sécurité, notamment des dispositifs anti-collision avancés.

La voie de l’autonomie
L’essor des voitures autonomes, sans conducteur, va braquer les projecteurs sur le rôle des communications :
- Comment en assurer la sécurité ?
- Quel en est l’objectif ?
Le débat tourne en partie autour de l’épineuse question de la responsabilité juridique : qui est responsable si les choses tournent mal ? Ce débat déjà ancien risque de devenir encore plus compliqué.
À la fin de l’année dernière, l’annonce des législateurs californiens en a bien souligné toute la difficulté : pour le moment, les voitures à conduite autonome doivent avoir un conducteur. Toutefois, l’administration américaine de la sécurité autoroutière a récemment admis qu’un ordinateur pouvait être le conducteur, à tout le moins pour la voiture autonome de Google.
Selon Joel Grundy, l’imputation du risque conditionnera l’évolution de l’autonomie du véhicule :
« Les incidences ne sont pas les mêmes selon qu’on s’oriente vers un contrôle par l’infrastructure ou vers l’autonomie totale. Si l’avis général est que la responsabilité incombe au fabricant, les constructeurs prendront un maximum de précautions dans le choix des équipements. En revanche, si les États décident de mutualiser une partie des risques, les informations utilisées par la voiture pour prendre des décisions raisonnées appartiendront à un fournisseur d’infrastructures, l’équivalent du contrôle aérien ou de la signalisation ferroviaire. »
Bertrand Demotes-Mainard, vice-président Hardware technologies chez Thales, souligne : « Thales et ses technologies de sécurité devraient trouver toute leur place dans l’infrastructure de la voiture connectée, qui présente de très grandes similitudes avec certains domaines d’expertise de l’entreprise », au premier rang desquels les systèmes essentiels à la sécurité aéronautique ou ferroviaire. La sécurité des transactions en est un autre : les systèmes Thales sécurisent quelques 100 millions de transactions financières par jour. Cette capacité à opérer en toute sécurité et à monter en charge constitue un différenciateur, selon Bertrand Demotes-Mainard qui ajoute :
« Vous devez pouvoir garantir la sécurité et la fiabilité de ce que vous faites dans les systèmes de back office et dans le Cloud. »
Des routes connectées
Par exemple, les véhicules recevront en temps réel les données des feux de circulation. Cela permettra non seulement d’économiser l’essence et de fluidifier la circulation (imaginez-vous en train de traverser la ville porté par une vague de feux tous au vert), mais aussi de diminuer le nombre d’accidents aux intersections.
Informations sur les travaux routiers, données des panneaux à messages variables et alertes anticipées sur les fermetures de voie..., toutes ces informations seraient relayées par les connexions V2I.
Le V2I appartient au concept plus large des systèmes de transport intelligents coopératifs, selon lequel les véhicules communiquent entre eux (V2V) et avec les infrastructures. Pour décrire cette combinaison des deux, on parle de V2X.
Si un peu partout des projets pilotes V2I ont vu le jour, certains obstacles demeurent. Parmi ceux-ci, les véhicules ne sont pas encore dotés des liaisons sans fil haut débit 802.11p nécessaires à la réception en temps réel des données de sécurité, comme l’état des feux de signalisation. Pour gérer la transmission des données, les équipements sur le bord des routes devront subir des modifications. Sans oublier les questions de sécurité et de responsabilité : si les données de sécurité que le véhicule reçoit sont inexactes et que vous avez un accident, qui est responsable ?
Si nous répondons à ces questions, nous pourrions vivre dans un monde sans conducteur et sans embouteillages plus tôt que nous ne le pensions.

Alors, on y est presque ?
Certes, l’évolution vers l’autonomie s’accélère, mais tous les obstacles ne sont pas levés, notamment la question de la réception que lui réserve le public. La voiture symbolise depuis longtemps des valeurs fortes d’identité, de liberté et d’indépendance. Si on délègue la conduite aux ordinateurs, n’abandonne-t-on pas un peu de cette liberté ?
Certains indices montrent que les attitudes sont en train de changer. L’essor des associations d’autopartage et le succès d’applications de taxi comme Uber et Hailo sont symptomatiques du nouveau regard que l’on porte sur la voiture. Et des études menées au Royaume-Uni et aux États-Unis montrent que les jeunes, en particulier les hommes, conduisent moins.
La technologie sans conducteur porte en elle la promesse d’optimiser l’usage des routes et de transformer la sécurité. Mais à terme, estime Joel Grundy, l’issue de cette bataille des cœurs et des esprits dépendra de la capacité de la conduite sans conducteur d’augmenter la mobilité personnelle. Actuellement, ce sont ceux qui ont le plus besoin d’une voiture qui y ont le moins accès, notamment les jeunes, les séniors et les personnes en mauvaise santé.
« La question n’est pas de pouvoir rentrer d’une soirée dans une voiture qui se conduit toute seule. Il s’agit de donner un peu de dignité humaine et de liberté à ceux qui n’ont jamais pu profiter d’un véhicule personnel, explique Joel Grundy. Et je pense que ce ressort-là est incroyablement puissant. »
En bref
En 2020, plus d’une voiture sur cinq sera dotée de la connectivité wifi.
De la décongestion du trafic aux voitures autonomes, conduire pourrait à l’avenir prendre une toute autre allure.