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Space Q&A : Stratobus


Space Q&A. Jean-Philippe Chessel, bonjour
JPC. Bonjour

Space Q&A. Vous êtes Responsable du programme Stratobus chez Thales Alenia Space. Pouvez-vous en expliquer les grandes lignes ?
JPC. Stratobus est un concept de plateforme stratosphérique autonome à mi-chemin entre le satellite et le drone. Ce projet, sélectionné par le Ministère de l’industrie et du numérique dans le cadre de la Nouvelle France Industrielle, est réalisé avec un ensemble de partenaires dont Airstar Aerospace et le CEA-Liten. Thales Alenia Space en est le maître d’œuvre industriel. Cette plateforme de 5 tonnes, localisée à 20 kilomètres d’altitude environ (une position située au-dessus de l’espace dédié au trafic aérien et des jet-streams), pourra héberger des charges utiles de 250 kg dotées d’une puissance de 5 kW. Stratobus fera 100 mètres de long, 33 mètres à son diamètre maximum. Sa durée de vie, dans la stratosphère, est de 5 ans. Le projet Stratobus est labélisé par le Pôle de Compétitivité Pégase en charge de lancer la filière dirigeables en France.

Space Q&A. A quels types d’applications est-il destiné?
JPC. Stratobus est une plateforme multi-missions destinée à des applications aussi bien civiles que militaires.
Dans le domaine de l’observation, il pourra être utilisé principalement pour des applications liées à la surveillance (sites industriels sécurisés, surveillance des frontières, détection en anticipation de la piraterie maritime), et à la gestion de l’environnement (érosion des reliefs, détection de la pollution maritime, prises de mesure météo, gestion du trafic maritime).  L’industrie pétrolière montre un grand intérêt à son égard car il permettra d’identifier une menace quelles que soient les conditions météorologiques, grâce à une charge utile radar, complétée par des senseurs dans les domaines visible et infra-rouge, avec une résolution d’image allant jusqu’à 10 cm. Dans le domaine maritime, Stratobus sera capable de repérer un bateau suspect à 200 km, prévenir les autorités compétentes et anticiper les risques de piraterie en particulier à bord des plateformes pétrolières. Il est par ailleurs tout à fait envisageable de déployer 4 à 5 Stratobus pour surveiller 1000 km de frontières, toute l’année et de tous temps.
Dans le domaine des télécommunications, Stratobus pourra être utilisé pour réduire la fracture numérique sur des zones géographiques où internet n’est pas encore accessible (zones désertiques en Afrique par exemple) mais aussi pour renforcer le réseau GSM à l’occasion de grands événements (type Jeux Olympiques).
Au niveau de la navigation, Stratobus offre la possibilité d’augmenter la couverture GPS sur les zones de trafic dense. Enfin, dans les cas de catastrophes naturelles, telles que le tremblement de terre au Népal, Stratobus offre la possibilité de rétablir les connexions internet et téléphoniques de façon nominale pour une meilleure gestion de l’action humanitaire; l’un des grands intérêts de Stratobus est qu’il est transportable car conçu de façon modulaire de manière à rentrer dans des containers de taille standard. Il est ainsi parfaitement compatible pour être transporté par voies maritimes, ferroviaires et aériennes. Ne nécessitant aucun lanceur, un terrain de la taille d’un stade de football lui suffit pour décoller et rejoindre la stratosphère en moins de 4 heures.

Space Q&A. La presse et les réseaux sociaux ont beaucoup parlé de Stratobus depuis 1 an. Comment expliquez-vous l’engouement créé autour du concept ?
JPC. Le concept fait appel à des innovations techniques. Stratobus utilise en effet un concentrateur solaire placé à l’intérieur du ballon (un brevet Thales Alenia Space) et une pile à combustible réversible permettant de disposer à bord d’une grande quantité d’énergie tout en minimisant la masse et la surface de l’enveloppe, de jour comme de nuit. Autre innovation, Stratobus utilise un anneau passé autour du ballon pour effectuer une rotation  de telle sorte que celui-ci soit toujours face au soleil en journée et en toute saison. La pile à combustible réversible alimentée par le générateur solaire aura accumulé suffisamment d’énergie dans la journée, pour alimenter Stratobus en énergie pendant la nuit. Sa position stationnaire est obtenue grâce à deux moteurs électriques à hélices situés de part et d’autre du ballon.
 

Space Q&A. L’opinion publique avait été frappée, en son temps, par le crash du zeppelin Hindenburg en 1937. Aujourd’hui, les technologies ont naturellement fortement évolué. Qu’est-ce qui différencie les ballons de la génération Hindenburg du concept Stratobus d’aujourd’hui ?
JPC. Hindenburg était un ballon troposphérique embarquant des passagers, en structure semi-rigide. Stratobus dispose de matériaux d’enveloppe souples, volontairement non rigides pour optimiser masse, en légère surpression. D’énormes progrès technologiques ont été réalisés au niveau de l’enveloppe, spécialement développée pour Stratobus. Elle contient 3 enveloppes avec des fonctions bien précises. 2 d’entre elles serviront à faire l’étanchéité entre le gaz porteur et l’air externe, la troisième étant constituée d’un tissu très résistant en fils de carbone, que l’on retrouve sur certaines voiles de bateaux de régate. Cette technologie, confirmée par Air Liquide, garantit la sécurité de la plateforme stratosphérique vis-à-vis des risques de voir l’hydrogène s’enflammer. L’enveloppe est d’ailleurs compatible aussi bien avec de l’hélium que de l’hydrogène.

Space Q&A. Des projets similaires sont en train de voir le jour aux Etats-Unis (ballons Loon de Google), en Europe ou au Japon. Techniquement, en quoi Stratobus fait-il la différence ?
JPC. D’un point de vue technique, le concentrateur solaire et l’anneau permettant la rotation de l’enveloppe sont des critères différenciateurs significatifs qui ont permis de maximiser les Watts par kg et de réduire son encombrement. En effet, l’enveloppe de Stratobus est pliable et peut contenir dans un container de 40 Pieds. Il a donc été pensé pour pouvoir être déplacé facilement. Il est à la fois plus léger et plus puissant que les projets stratosphériques qui verront bientôt le jour aux Etats-Unis. Cette puissance disponible à bord lui permet d’être stationnaire de façon permanente suivant sa localisation, performance qu’il est aujourd’hui le seul à pouvoir offrir dans les HAPS. Il est de plus  repositionnable, autonome, offre une très bonne résistance au vent grâce à un moteur alimenté en énergie par les cellules photovoltaïques via la pile à combustible réversible. Le Japon a fait voler 2 ballosn stratosphériques dérivants de grande dimension en 2010. Le projet a été arrêté car le Japon a décidé de donner la priorité au spatial. En Europe, il n’y a pas vraiment de solution concurrente sur le marché. On peut en outre mentionner le dirigeable Capanina que l’ESA a fait voler pendant une semaine au milieu des années 2000. Ce dernier a permis de valider une liaison par radiofréquence avec le sol.
 

Space Q&A. Sur quelle zone géographique Stratobus pourrait-il être le plus performant ?
JPC. Basé sur plus de 20 ans de mesures stratosphériques faites avec les ballons sonde du CNES, confirmées par les données de la NASA, il est possible d’affirmer que la vitesse du vent entre les tropiques ne dépasse pas les 90 km/h tout au long de l’année. La puissance de Stratobus lui permet justement de lutter contre les vents de 90 km/h, et de rester stationnaire. Il peut donc assurer des missions de 5 ans, avec une maintenance annuelle au sol de quelques jours. Pendant les phases de maintenance, un Stratobus de rechange permettra d’assurer la continuité de la mission de telle sorte qu’elle soit ininterrompue pendant 5 ans. En France par exemple, Stratobus pourra être utilisé pour des missions de 8 mois sans interruption. Les données statistiques du CNES montrent que pendant les 4 mois les plus froids, la force du vent en France peut aller jusqu’ à 110 km/h dans la stratosphère. Dans ces cas précis, il y a 2 options : soit l’on décide de laisser dériver Stratobus pendant un laps de temps défini ; soit l’on décide de le faire redescendre. La durée de la redescente est de moins de 4h. En dehors des zones situées entre les tropiques, Stratobus pourra être utilisé pour des missions saisonnières (ex : surveillance des incendies en forêts pendant les mois d’été…)

Space Q&A. Quels types de clients/entreprises pourraient être intéressés par le concept ?
JPC. Etant donné qu’il s’agit d’un concept multi-missions, il y a un grand nombre de clients potentiels : opérateurs téléphoniques, Etats, Ministères de la Défense, compagnies pétrolières, gendarmerie… etc

Space Q&A. Quel avantage y-a-t-il à choisir une solution Stratobus pour un client ?
JPC. Stratobus n’a pas besoin de lanceur pour atteindre la stratosphère. Son coût est hyper compétitif. Sur un périmètre régional, de 200 kms de rayon, il offre l’avantage de pouvoir répondre à un grand nombre de missions, tant civiles que militaires. Le fait qu’il soit stationnaire, autonome et surtout repositionnable pour suivre l’évolution de la demande client, en fait un atout majeur. Dans le domaine militaire, il est tout à fait envisageable que Stratobus informe et protège les soldats sur différents théâtres d’opérations. Nous sommes dans une ère où le domaine spatial subit de très forts changements. Dans le domaine des télécommunications en particulier, flexibilité, modularité, compétitivité, production en temps limité sont les nouvelles attentes de nos clients. Stratobus s’inscrit complètement dans cette nouvelle ère technologique, de plus en plus exigeante en terme d’innovations.
 

Space Q&A.  Pouvez-vous faire un point sur l’avancée du programme ?
JPC. Pour tenir le « time-to-market », nous devons en deux ans, de début 2016 à fin 2017, terminer le développement des technologies clés, fabriquer les prototypes des sous-systèmes et finaliser la définition. Entre 2018 et 2019, il y aura la fabrication du premier Stratobus, le Prototype Flight Model (PFM). Il faut compter ensuite entre 6 mois et 1 an d’essais en vol pour obtenir la certification et l’autorisation de vol pour mise en production.

Space Q&A. A quel horizon sera-t-il disponible sur le marché ?
JPC. Le produit sera disponible sur le marché à horizon 2020.

Space Q&A. En quoi Stratobus est-il complémentaire à une solution satellitaire traditionnelle ?
JPC. Stratobus ne se substitut aucunement au marché traditionnel des satellites. Au contraire, de par sa portée régionale détaillée, il est parfaitement complémentaire de la couverture plus globale du satellite.

Space Q&A. Merci beaucoup, Jean-Philippe Chessel, d’avoir accepté de répondre à nos questions. Thales Alenia Space vous donne RDV prochainement pour un nouveau « Space Q&A» !

 

VIDEO: Stratobus, mi-drone, mi-satellite