Aller au contenu principal

« Avec la 6G, la science-fiction devient réalité »

Toujours plus loin, toujours plus vite. Avec un ultra-haut débit et une quasi-instantanéité des transmissions, la 5G ne fait pas qu’augmenter les performances : elle amorce une révolution numérique qui bouleverse les usages dans les domaines civil et militaire. Hélène Bachatène, VP Research, Technology & Innovation, nous explique comment le Groupe joue un rôle pivot dans ce nouvel écosystème, et pourquoi il faut dès aujourd’hui anticiper l’entrée dans l’ère de la 6G, prévue à l’horizon 2030. 

Nous sommes aujourd’hui à la cinquième génération de norme de réseau pour la téléphonie mobile depuis la 1G en 1980, qui assurait les premières transmissions sans fil analogiques, jusqu’à la 4G qui a considérablement augmenté le débit des connexions. Pourquoi, avec la 5G, a-t-on franchi une nouvelle étape ? 

En proposant des débits encore plus importants (jusqu’à 100 fois plus que la 4G initiale), en réduisant la latence et en limitant le risque de saturation des réseaux, la 5G a permis d’augmenter sensiblement les performances afin d’atteindre un niveau suffisant pour les applications des systèmes critiques, par exemple dans le monde de la médecine ou sur le terrain militaire. Mais ce n’est pas tout.

Elle correspond aussi à un changement de paradigme, celui de la softwarisation des réseaux (voir encadré 1), au moment où le cloud et le logiciel révolutionnent l’industrie des télécoms. La 5G est en effet indissociable de l’avènement de l’IoT, l’internet des objets, qui permet de faire communiquer nos biens dits physiques et leurs existences numériques.

Il existe aujourd’hui plus de 500 millions d’objets connectés dans le monde qui ont besoin de faire remonter efficacement de l’information afin de permettre aux architectures data-driven de fonctionner. Dans ce nouvel écosystème, seule la 5G permet actuellement d’atteindre un niveau de performance pleinement satisfaisant.

1. Vers des réseaux virtuels. Depuis le tournant des années 2020, le SDN (Software-Defined Networking, ou mise en réseau définie par logiciel) permet la migration des réseaux vers le cloud, en séparant le hardware des logiciels et des applications. Cette softwarisation bouleverse en profondeur le métier des opérateurs, qui bénéficient dès lors d’une plus grande flexibilité, d’économies de coût ainsi que d’un accroissement des possibilités de mutualisation. Plus réactive, cette approche optimise les ressources du réseau afin de l’adapter aux besoins toujours plus importants des entreprises comme des applications.

La 5G/6G ont été sélectionnées par Bernhard Quendt, directeur technique de Thales, parmi les technologies disruptives qui vont bouleverser notre quotidien et dans lesquelles le Groupe compte s’investir particulièrement. Pourquoi est-ce un enjeu de première importance pour l’entreprise ? 

D’abord parce que les futures applications attendues ou promises par la 5G et la 6G impacteront fortement les architectures que nous concevons actuellement pour nos clients, que ce soit dans le monde civil ou militaire.

Thales n’a certes pas vocation à devenir un opérateur de réseaux en charge de développer la 5G-6G sur le territoire français ou européen. Mais notre rôle est de préparer l’avenir pour nos clients. Nous devons leur assurer une connectivité, des applications qui soient toujours au meilleur niveau mondial dans les décennies à venir. Nous évoluons dans une industrie de la tech où tout s’accélère, où il est nécessaire de se projeter en permanence et d’avoir un temps d’avance. Avec toujours le même impératif : assurer la sécurité des données et des systèmes complexes à l’heure de la fragmentation des réseaux. Et en la matière, on ne peut pas se contenter des normes existantes. 

Nous avons toujours le même impératif : assurer la sécurité des données et des systèmes complexes à l’heure de la fragmentation des réseaux. 

Est-ce la raison pour laquelle Thales va au-delà de la 5G avec le « Beyond 5G » ? 

Oui, nous sommes impliqués dans ce projet collaboratif (voir encadré 2) car la cybersécurité est plus que jamais la condition sine qua non de notre souveraineté. En ce sens, le « Beyond 5G » doit permettre aux organisations une meilleure maîtrise de leur sécurité en la paramétrant elles-mêmes, et en s’affranchissant ainsi de la dépendance aux fournisseurs et opérateurs.

2. Beyond 5G : la rupture, c’est déjà maintenant. Lancé en 2021 par le Groupe en collaboration avec Ericsson France, les écoles de l’Institut Mines-Télécom et Eurecom à Sophia-Antipolis, le projet de recherche Beyond 5G a pour objectif de faire émerger tout le potentiel de la 5G. Élaboration des architectures répondant aux besoins des marchés critiques, consolidation de la souveraineté comme la cybersécurité, intégration des éléments d’intelligence artificielle et de big data… En mobilisant des dizaines de chercheurs de toutes les parties prenantes, ce projet, qui s’achèvera en 2024, vise à concevoir des solutions techniques pour le développement de réseaux ainsi que de nouveaux usages pour l’industrie du futur, le secteur de la santé, les transports…

Mais un autre défi nous attend : il s’agit de nous adapter à l’émergence prochaine des technologies quantiques et des supers ordinateurs qui, avec leurs capacités de calcul démultipliées, représentent des menaces potentielles pour la sécurité. Notre engagement dans le Beyond 5G rappelle que le Groupe n’attend jamais le passage à un nouveau palier pour projeter ses solutions, comme en témoigne aussi notre implication dans les technologies intermédiaires 4G LTE (Long Term Evolution), qui permettent par exemple aujourd’hui aux soldats de partager des données plus facilement et plus sûrement sur un théâtre d’opérations.

Thales ne se contente pas des standards qui ont été développés et vendus. L’évolution est permanente : une génération prépare toujours la suivante, et c’est particulièrement vrai entre la 5G et la 6G.

Quels sont les bénéfices offerts par la 5G ? 

Il ne faut pas chercher les véritables mérites des réseaux de cinquième génération dans les offres aujourd’hui proposées par les opérateurs civils. Du reste, la 5G est encore assez peu déployée en France et en Europe, en comparaison des deux pays moteurs sur cette technologie, les États-Unis et la Chine.

Je dirais que la 5G a essentiellement démontré qu’il était possible de développer des réseaux privés à destination du monde industriel en proposant de bons débits et une sécurisation accrue. Autre avancée notable : elle permet de réaliser un slicing , autrement dit de créer plusieurs réseaux virtuels en découpant le réseau en « tranches », tout en utilisant la même architecture physique. Dès lors, on peut moduler les critères de qualité de service comme de sécurité.

C’est un élément essentiel pour le Groupe et ses activités, notamment parce que le droit militaire est composé de différents niveaux de classification et d’exigence sur les données qui circulent sur les réseaux. 

La 5G a-t-elle tenu toutes ses promesses ?

Elle l’a fait sur bien des points : un débit atteignant 10 Gbit par seconde ; mille fois plus de bande passante par unité de surface ; une couverture de 100 % ; une réduction drastique de la consommation d’énergie du réseau ; une excellente durée de vie de la batterie pour les appareils IoT à faible consommation…

Mais un élément en particulier mérite encore d’être amélioré : le temps de latence. L’objectif fixé par les normes 5G était de 10 millisecondes. Sachant que le temps de réaction moyen des humains à un stimulus visuel est de 250 ms (un quart de seconde), on pouvait dès lors imaginer des potentialités extraordinaires, par exemple une voiture équipée d’un système embarqué capable de réagir 25 fois plus vite que nous, tout en répondant aux informations entrantes et en communiquant ses réactions à d’autres véhicules à la dizaine de milliseconde près. On n’y est pas encore.

C’est pourquoi il faut considérer la 5G non pas comme une fin en soi, mais comme une étape nécessaire de l’évolution continue des réseaux mobiles, avant la 6G.

Est-on entré dans l’ère de l’immédiateté ?

L’enjeu crucial est en effet d’atteindre un temps de latence infiniment petit et un temps de traitement des données le plus faible possible, afin d’apporter aux acteurs la meilleure aide à la décision possible.

Dans le domaine militaire, on pourrait ainsi entrevoir un passage au « temps réflexe » et à la prise de décision instantanée… Mais l’évolution des normes de réseau nécessite d’être couplée avec l’intelligence artificielle et le cloud de défense afin que le réseau apprenne des emplois passés pour améliorer le service lors de requêtes futures.

Autant que sur la question de l’instantanéité, nos équipes sont pleinement mobilisées autour de l’autonomic management, à savoir la capacité des réseaux à s’adapter dynamiquement, s’autoconfigurer, grâce à l’emploi de l’IA et de l’apprentissage pour offrir la meilleure performance possible, tout en limitant la consommation de ressources technologiques et humaines.

Nos chercheurs sont pleinement mobilisés sur le sujet, afin que les réseaux de communication soient un jour capables d’identifier eux-mêmes un problème, de le résoudre, et d’optimiser leurs ressources en fonction des missions de façon autonome.

Notre expertise dans le champ des réseaux autonomes peut être un atout important pour l’Europe dans la course à la 6G. C’est un argument que fait valoir le Groupe au sein du projet Hexa-X, lancé fin 2020 sous la houlette de Nokia afin de poser des éléments de pré-standardisation des futures communications mobiles. 

Le savoir-faire et l’expérience de Thales ont-ils joué dans l’établissement des nouvelles normes de communication ? 

Jusqu’ici, l’accès aux réseaux mobile depuis un terminal utilisateur nécessitait des points d’accès terrestres. C’est l’une des grandes victoires de Thales sous l’impulsion de Thales Alenia Space que d’avoir poussé l’intégration des réseaux non-terrestres (NTN) dont les réseaux satellitaires dans  le standard 5G-6G du 3GPP (3rd Generation Partnership Project), qui coordonne la coopération des organismes de normalisation et de télécommunication.

Il sera alors possible d’accéder directement au réseau mobile (5G 6G) avec le même terminal que ce soit via un relais terrestre ou un relais non terrestre (satellites orbites basses, plateformes haute altitudes, drones). Ces composantes non-terrestres (3D) viennent de façon transparente, compléter et/ou suppléer  la couverture des réseaux  dans le cadre du « Beyond 5G » puis de la 6G.

Pourquoi le déploiement de la 6G n’est-il prévu qu’à l’horizon 2030 ? 

Habituellement une génération de réseau mobile prend dix ans, nous sommes actuellement à la 5G. De plus pour satisfaire les objectifs ambitieux de la 6G de nombreux verrous techniques sont à lever, parmi lesquels la question des matériaux.

En effet le passage aux fréquences térahertz (THz), nécessitent un matériel de pointe, actuellement en cours de conception. Car plus on embarque d’équipements pour tenir des performances à haute fréquence, plus se pose la question de la dissipation d’énergie… De nombreux tests sont effectués aujourd’hui sur le graphène et les métamatériaux qui seront essentiels pour les fonctions thermiques, optiques, électriques et électroniques.

Il faut s’attendre aussi à une demande accrue en semi-conducteurs III-V, actuellement très utilisés dans la 5G. Cette question des matériaux est capitale car elle conditionne la faisabilité technique des potentialités phénoménales de la 6G. 

Justement, que proposera la 6G ?

Des applications qui défient aujourd’hui l’imagination, en offrant des expériences à la fois virtuelles et physiques. Avec 100 Gigabits par seconde, la 6G nous fera passer définitivement dans le domaine de l’instantané.

Il est difficile d’appréhender tous les bénéfices que pourra bientôt offrir la sixième génération dans les secteurs de l’e-santé, des transports, de la logistique, de la robotique, de la cybersécurité, mais ce qui est certain, c’est que l’on sortira définitivement du registre de la science-fiction pour la réalité concrète.

On sera ainsi capable de créer des « jumeaux numériques » portés par des clouds et interconnectés à haute vitesse, qui pourront explorer le monde réel sans contrainte temporelle ou spatiale. En tant qu’industriel, c’est fascinant d’imaginer pouvoir proposer des solutions ou résoudre des problèmes en direct et en milieu immersif, et de pouvoir créer des répliques numériques d’objets réels pour des tâches de surveillance, de diagnostic ou de pronostic.

La réalité augmentée et les hologrammes, qui n’en sont aujourd’hui qu’à leurs balbutiements, dévoileront aussi pleinement leur potentiel. La 6G va faire converger les mondes humains, physiques et numériques : les recherches se focalisent actuellement sur les moyens permettant de ressentir le goût, l’odeur, voire de toucher des objets à travers le réseau. On lit parfois que la 6G nous fera entrer de plain-pied dans « l’internet des sens »… 

La 5G trace aujourd’hui la voie, mais la 6G va ouvrir véritablement le champ des possibles pour les applications numériques.

Des hologrammes mobiles, des avatars numériques… Bientôt la téléportation ?

On n’y est pas encore ! Mais tout est à inventer. La 5G trace aujourd’hui la voie, mais la 6G va ouvrir véritablement le champ des possibles pour les applications numériques, comme l’atteste d’ailleurs la course aux brevets à laquelle on assiste actuellement.

La compétition que se livrent aujourd’hui les grandes puissances sur la 6G rappelle que l’enjeu est capital pour la souveraineté et pour le leadership technologiques. Depuis trois ans, le Groupe est plus que jamais mobilisé autour de ces problématiques, répondant aux sollicitations du gouvernement français et de l’Europe.

Nous avons même réalisé une démonstration pour l’OTAN sur les risques mais aussi les bénéfices des futures connexions mobiles pour la cybersécurité. Actuellement, nous avons des équipes dédiées aux applications numériques de la 5G et de la 6G dans différents services, dans le domaine du numérique, de la cybersécurité et de l’espace, ainsi que des relais pour remonter les problématiques et attentes des clients.

Et nous cherchons en permanence des profils capables de manier non pas seulement les questions de communication mais de comprendre l’écosystème dans son ensemble : les dimensions système et logicielle, la cybersécurité, la connectivité.

Les possibilités offertes par la 6G sont extraordinaires, à nous d’inventer les applications du futur !