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Qu'impliquent les déploiements sur plusieurs années pour les équipages et les systèmes embarqués ?

Les navires de guerre restant plusieurs années loin de leur port d’attache semblent appartenir à une époque révolue. Mais ils représentent également une possibilité pour l’avenir. De plus en plus de marines envisagent des déploiements de très longue durée, avec des équipages tournants. Certaines marines ont déjà commencé à le faire. Mais qu'est-ce que cela signifie pour les navires et leurs systèmes ?

Les déploiements tels que ceux du Carrier Strike Group britannique et le déploiement des marines allemande et française dans l'Indo-Pacifique ont un format classique : le navire et l'équipage partent ensemble et reviennent ensemble. Il y a quelques années, l'OPV néerlandais HNLMS Groningen est parti pour trois ans dans les Caraïbes, avec des équipages tournants. La pandémie de COVID-19 ainsi que des arbres d'hélice endommagés ont forcé son retour prématuré, mais les allers-retours du navire et de l'équipage vers l'Ouest tous les quatre mois semblent appartenir au passé. Ce concept a également été appliqué aux chasseurs de mines néerlandais de classe Alkmaar lorsqu'ils opéraient dans le golfe Persique dans les années 80, mais sur une période plus courte.

Toutefois, les deux classes de navires mentionnées n’étaient pas conçues pour le concept d'équipage tournant. C’est le cas des nouvelles frégates allemandes F126 (MKS 180). 

Si un navire reste à des milliers de milles nautiques de son port d'attache pendant deux ans, qu'est-ce que cela implique en matière de soutien aux navires et aux systèmes, par exemple ? Ou comment cela fonctionne-t-il pour les pays dont le littoral s'étend sur plusieurs milliers de kilomètres et qui souhaitent que leurs marines exploitent un navire à partir d'un petit port éloigné de la base de maintenance ?

« Quand vous êtes loin de chez vous, vous n'avez pas le soutien dont vous disposez dans votre propre base navale », explique Berend Jongebloed, de la branche support de Thales, qui s'occupe de ce type de questions. « Une partie de l’entretien préventif doit être effectuée à des moments précis. Ces tâches peuvent être planifiées. C'est de moins en moins problématique avec les systèmes modernes, qui nécessitent moins de maintenance préventive ».

« Les situations d'urgence loin du port d’attache représentent le principal défi », poursuit M. Jongebloed. « Avez-vous les connaissances et les compétences nécessaires pour résoudre ce problème à bord ? Disposez-vous des pièces de rechange ? Le soutien des systèmes suit donc une tout autre dynamique. Un centre d’assistance dans la zone de mission où à proximité constitue une solution ».

Bien sûr, une partie du problème serait également résolue en ayant davantage de techniciens à bord. Les sous-marins néerlandais qui opéraient autour du Cap Nord ou dans la partie orientale de la Méditerranée dans les années 70 ont dû résoudre par eux-mêmes de nombreux problèmes techniques. Ils n’avaient pas beaucoup de contact avec le port d'attache et il était parfois nécessaire de résoudre des problèmes sous l’eau, près des navires soviétiques. Ils devaient se contenter de ce qui était disponible à bord, mais les sous-marins de l'époque comptaient 67 membres d'équipage.

Les marines sont confrontées à une pénurie de personnel, notamment de techniciens, et cherchent des solutions nécessitant moins de membres d'équipage. Les nouveaux navires compteront moins de techniciens que leurs prédécesseurs.

Une approche différente : davantage de données

« Pour les missions de longue durée loin de chez soi, explique M. Jongebloed, il faut un système d’assistance qui puisse également être déployé dans le monde entier. Aux Pays-Bas, un navire est supervisé par le centre d'opérations maritimes de la Marine royale néerlandaise au Helder. C'est là que les problèmes sont présentés et que les spécialistes du port d'attache apportent leur assistance. S'ils ne parviennent pas à trouver une solution, on fait alors appel à l'industrie ».

Fournir une assistance à distance devient de plus en plus facile grâce aux moyens de communication modernes. Les futures frégates ASW néerlandaises et belges partageront beaucoup plus d'informations avec Le Helder. « Du moment que vous disposez d'une bande passante Internet suffisante, vous pouvez apporter votre aide à distance, de la même façon qu’un service informatique. Bien entendu, il existe des risques au moment d’envoyer les données. Il faut être très prudent et très sélectif. La cybersécurité est essentielle ».

Il peut également être utile d'utiliser les données que les capteurs embarqués enregistrent sur les systèmes. Cette méthode est utilisée depuis un certain temps pour les vibrations de l'arbre d'hélice, par exemple, mais aujourd’hui, Thales travaille également à l'application de capteurs supplémentaires dans ses systèmes. Comme l’explique M. Jongebloed, « Vous pouvez analyser ces données et en tirer des écarts. Si vous parvenez à identifier ces écarts à un stade précoce, vous pouvez prévenir l’équipage que cet élément particulier risque de ne pas fonctionner correctement à l’avenir, et qu’il faut d’ores et déjà le remplacer ».

« En plus d’envoyer des données, vous pouvez également laisser l'équipage effectuer certaines tâches techniques en utilisant la réalité augmentée ».

« Il existe diverses options technologiques qui peuvent offrir une assistance à distance. Cela dépend de la façon dont nous la configurons pour chaque client. Si vous souhaitez bénéficier de ce service, vous devez instaurer toute une chaîne, du navire au service de maintenance et à l'industrie. Ce n'est pas facile à faire ».

Autres exigences

Pour l'industrie, cela signifie que les systèmes doivent être disponibles pour une plus longue période. « Les exigences en matière de fiabilité seront plus élevées, indique M. Jongebloed. Les concepteurs doivent savoir comment les utilisateurs se serviront du système, afin de l'adapter aux opérations à long terme. La dégradation progressive et la reconfigurabilité sont également importantes. La première signifie qu'un système ne tombe pas immédiatement en panne complète si certaines de ses pièces tombent en panne, mais qu'il continue à fonctionner avec des performances réduites. L'évolutivité de la technologie a déjà permis d'atteindre cet objectif dans une vaste mesure. La reconfigurabilité signifie qu'un système réagit en cas d'erreur, en modifiant ses paramètres de sorte que la perte de performance soit minimale ».

Les systèmes modernes nécessitent déjà moins de maintenance en raison de leur nature numérique. Si des dysfonctionnements surviennent, c'est le plus souvent au niveau de l'électronique haut de gamme. Avec une bonne conception, le plug-and-play est très rapidement accessible : lorsqu'une unité est désignée comme défectueuse, il faut l'échanger et l’envoyer en réparation.

Le radar SMART-L MM pour les applications terrestres, par exemple, dispose déjà d’une grande disponibilité opérationnelle, explique M. Jongebloed : « Les exigences en matière de disponibilité sont très élevées pour les applications terrestres : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Pour les applications maritimes, le profil opérationnel qui s’applique est différent. Les marines peuvent probablement les utiliser en continu pendant trois semaines, se rendre dans un port et y effectuer la maintenance. D’autre part, la complexité des systèmes a également augmenté et, en cas de problème, il faut parfois d’importantes connaissances pour en trouver la cause. Cela doit également être pris en compte lors de la mise en place de la maintenance ».

Copie à terre

Il est également utile de disposer exactement des mêmes systèmes dans la base d'attache et à bord. « Je sais que l'Allemagne a toujours une copie de l'installation du navire à terre. Elle est utilisée pour tester les nouvelles versions de logiciels, par exemple, mais aussi pour revérifier les systèmes embarqués, si quelque chose ne va pas ».

« La Marine royale canadienne, poursuit M. Jongebloed, nous achète également deux systèmes supplémentaires pour faire des essais, mais aussi pour former le personnel ».

Un Total Ship Trainer est l'une des options permettant d'éduquer et de former les équipages au concept d'équipage tournant. Un tel dispositif comprend par exemple des simulateurs de pont, de centre de commande et de centre technique, comme à bord du navire qui se trouve à des milliers de kilomètres. Des capteurs réels peuvent également être ajoutés, explique M. Jongebloed.

Le package parfait

Bien sûr, c'est également une question de logistique. « Comment obtenir les pièces de rechange sur place ? », se demande M. Jongebloed. « Les pays qui font des missions courtes commanderont à l'avance un package de pièces détachées différent de celui des pays qui effectuent des missions plus longues. Ils ont besoin d'un package plus complet pour pouvoir faire face aux urgences en mer. Il est également possible de commander ce qu’on appelle des packages de mission ».

« Bien entendu, un navire de guerre revient périodiquement pour être entretenu et c'est une bonne occasion pour le moderniser en profondeur. La technologie et les menaces évoluent de plus en plus vite, et des menaces qui n'existaient pas du tout lorsque le navire a été construit peuvent émerger ».

Une approche axée sur le cycle de vie du système

M. Jongebloed estime que concevoir des solutions sur mesure nécessite une approche spécifique. « Cette approche doit répondre à la question suivante : comment répondre au mieux à l'importance croissante de l’assistance ? »

« Cela nécessite une approche et une préparation intégrées, affirme M. Jongebloed. Cela ne se limite pas aux systèmes individuels, mais s’applique à l'ensemble du navire. Tout commence par les objectifs opérationnels. Ceux-ci peuvent être traduits en un profil d'utilisation souhaité, par exemple "fonctionner plus longtemps dans la zone de mission". La conception technique des systèmes repose sur ce profil d'utilisation. Par la suite, la formation, la maintenance et les fournitures sont également organisées en conséquence. La période de maintenance majeure permet d'évaluer ces sujets et éventuellement d'introduire de nouvelles méthodes ».

« Cette approche intégrée est prise en charge par l'ILS. Cette approche est en train de se développer, avec un accent croissant sur la durée de vie entière du système. Pour donner corps à la question de l'adaptation des concepts de maintenance à l'évolution des modes de déploiement des navires, aux nouvelles technologies et à l’évolution du monde des services et de la logistique, il est important que l'industrie et le client mettent conjointement en œuvre ces nouvelles normes ».

Auteur : Jaime Karremann

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